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Réponse à Frédéric Lordon et aux autres qui estiment que la ZAD est un épiphénomène dans l’Histoire

Frédéric Lordon écrit il y a quelques mois dans le Monde Diplomatique un récit à la fois élogieux et ironique sur la Zad de Notre Dame des Landes. Pour résumer, l’expérience zadiste relève d’un héroïsme hors du commun réservée à une élite assez sauvage et difficile pour se passer de confort pendant quelques mois . Elle ne peut pas être à la portée du plus grand monde, composé entre autre de médiocres asservis à la consommation et surtout à la douceur qu’elle apporte. La plupart des gens seraient incapables de se résoudre à faire caca dans les bois où à se laver seulement deux à trois fois par semaine . La plupart des gens sont trop frileux pour supporter les hivers rigoureux dans de simples yourtes ou des cabanes chauffées à la poêle. La plupart des gens ne sont pas assez patients pour cultiver un potager en champs de permaculture ou chercher du bois pour préparer un feu. Les Zadistes sont des élus, pas le commun des mortels.

Il ne s’arrête pas là. Bien que la Zad soit d’expression gauchiste, Lordon est persuadé que le concept peut être perverti par l’extrême droite, à l’image de l’écologie corrompue par sa droite avec l’émergence des survivalistes complotistes et de l’écofascisme. Admettons. Le fascisme est basé sur la supériorité de la race dont l’expression se trouve dans la technologie et le progrès issus du génie d’une société civilisée. Or les civilisations « technologiques » ont démontré leur incapacité à vivre en harmonie avec leur environnement, au contraire ils utilisent leur environnement comme une ressource . L’une des bases de l’écologie est de montrer le superflu et le danger de la technique, ainsi qu’un retour vers une société plus harmonieuse envers leur environnement. Or, ce sont les sociétés dites « inférieures » qui ont prouvé leur capacité dans ce domaine. Ainsi, l’écofascisme(ou le racisme d’un John Muir ) est absurde, un non sens. On va nous objecter que le racisme est un non sens par nature, ce qui est vrai, mais il était fondé sur des principes valorisant les inventions occidentales. Or, l’écologie est justement critique des avancées techniques occidentales et aura nécessairement besoin des sociétés autrefois dénigrées pour combler les lacunes environnementales des sociétés dites civilisées. Ainsi , l’écofascisme, contradiction en ses termes, ne peut pas rester crédible. Une Zad de fachos, en plus d’être un plagiat et un vol culturel est impossible.

Le véritable sujet n’est pas là : La Zad n’est pas accessible à tous. Peut-être, pour l’instant. Toutefois, une société en plein effondrement ( celui qui est en train de commencer) va profondément produire des mutations. La prochaine chute des cours des bourses, l’augmentation incessante du carburant, la raréfaction des produits de première nécessité, les maladies à répétition, les désastres climatiques font signer le glas d ‘une civilisation déjà fragilisée par les multiples crises économiques. Lorsque le moment viendra, la dernière préoccupation de l’être humain ne sera probablement pas la dernière sortie d’un Iphone ou même de vivre dans une banlieue résidentielle. Sa préoccupation sera de « survivre ». Et les modes de vie communautaires installés suite au phénomène zadistes, sûrement de plus en plus nombreuses , mais encore marginales , se trouveront être les meilleurs solutions pour ne pas mourir comme un con parce que le délai du supermarché du coin en autonomie sera dépassé( ou que celui-ci sera pillé). Le sacrifice du confort ou le retour à une vie difficile ne sera sûrement pas le crève coeur prédit par Lordon. De plus, une vie un peu rude ne signifie pas de renoncer à son thé du matin( je dis ça par expérience) : https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/LORDON/60498.

On n’aura plus peur de chercher de l’eau pure à une source, de mettre les mains dans la merde pour faire un bon compost ou un bon fumier pour faire du gaz naturel ou dormir sur un lit un peu humide. Les anciennes générations ont survécu à pire. A nous d’être à la hauteur des prochaines et à leur donner du courage non pas pour réussir des concours administratifs mais pour être capables de dormir dans une chambre éclairée à la chandelle.

Lordon oublie aussi quelque chose d’essentiel au vu de l’historiographie actuelle: les Zads sont les projets de la gauche anticapitalistes à aboutir sur une victoire, même au delà de l’échéance électorale. Toutes les grandes luttes de ces vingt dernières années depuis le CPE en 2006 ont échoué. Nuit Debout s’est essouflé en septembre 2016, Les Gilets Jaunes ont du mal à survivre et les grandes grèves des cheminots et des services du secteur médico social n’ont abouti à rien. L’état de la gauche sur le plan politique est désastreux : la fin du PS était une bonne nouvelle mais la France Insoumise de Mélenchon manque de charisme quand elle n’est pas ridicule, les Verts sont un groupe de bobos sans radicalité et en voie de psisation avec le même niveau de trahison(sauf peut-être Rousseau) et les autres sont inexistants parce que démodés et d’un autre siècle. Les échecs de la gauche ne me plaisent pas et m’attristent. Je m’y suis impliquée comme de nombreuses personnes, et j’y ai cru . J’ai vraiment cru à un nouveau Mai 68 avec Nuit Debout et une nouvelle Commune avec les Gilets Jaunes, un nouveau CPE avec les mouvements lycéens durement réprimés et un nouveau 1995 avec la loi contre les réformes des retraites. Le résultat est là : rien ne bouge vraiment. La société est atone.

Le mouvement des Zads a obtenu des victoires, malgré les expulsions et les déchirements. Le projet de l’aéroport a été abandonné à Notre Dame des Landes, le triangle de Gonesse est un mauvais souvenir, le port à Brétignoles sur Mer sur mer ne sera pas construit, la forêt de Roybon ne verra jamais le Central Parc et même le projet au Carnet n’est plus d’actualité. Malgré la destruction des jardins d’Aubervilliers, la ville a suspendu pour un temps les travaux . Il n’y a que le projet d’autoroute CGO vers Strasbourg qui se fera finalement, mais partout les victoires sont là. Les zadistes réussissent à faire plier le gouvernement et les capitalistes , contrairement aux autres mouvements des luttes. Ces réussites trop rares et malheureusement uniques ne peuvent que s’inscrire dans l’histoire, surtout quand la gauche est en désuétude. Au moment du Larzac, le parti communiste était haut dans les sondages et Mai 68 un souvenir rampant. Au moment de la Zad, c’est juste le seul moyen d’une lutte victorieuse.

La Zad se présente donc comme une lutte à l’efficacité redoutable, le précurseur d’un mode de vie post effondrement et une volonté décroissante de détruire l’économie capitaliste. La Zad est donc un moment historique fondamental parce qu’elle est l’avant garde d’un système en perdition.